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La fiche de renseignements à remplir en classe, c’est fini

Nom et prénom du père, nom et prénom de la mère, profession de chacun d’eux, frères et sœurs, adresse (ou adresses…), contacts téléphoniques, matières préférées, loisirs, métier envisagé… On a tous le souvenir d’avoir répondu à ce genre de questions en classe et de nombreux élèves y sont encore soumis.

“Si je me rappelle bien, à la rentrée, on a eu au moins deux questionnaires du genre”, témoigne cet ado de 14 ans, en troisième secondaire. “Travail des parents, matières fortes, ce qu’on veut faire plus tard, si on a des problèmes à la maison, etc. On a dû écrire ça pour les profs de maths et de sciences.” “Chez nous aussi, confirme son copain de sport qui étudie dans une autre école. D’un côté, je trouve ça bien. De l’autre, je n’ai pas envie de raconter ma vie aux professeurs. Certaines questions sont un peu trop poussées et je ne vois pas le rapport avec l’école.”

Contraire à la protection des données

“Les questionnaires soumis aux élèves lors de la rentrée scolaire peuvent être source d’embarras pour eux”, a reconnu la ministre de l’Enseignement obligatoire Caroline Désir, interrogée à ce propos en commission de l’Éducation par le député Christophe Clersy. “Cette pratique est susceptible d’amplifier les inégalités sociales. On peut aussi se demander si elle est indispensable à l’enseignant. Enfin, elle ne devait plus avoir lieu depuis l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données.” Ce cadre juridique piloté à l’échelle de l’Union européenne protège les droits fondamentaux des personnes physiques et, en particulier, leur droit à la protection des données à caractère personnel. Il est d’application depuis mai 2018.

Comme d’autres organismes, les écoles ont dû s’adapter. Entre autres, “elles doivent collecter et traiter les données à caractère personnel pour des finalités limitées et légitimes, et elles doivent être transparentes dans le traitement de ces données”, rappelle Caroline Désir. L’administration s’est penchée sur la question des fiches de renseignements remplies par les élèves en classe. Et la conclusion de cette analyse juridique est claire : ce genre de collecte est contraire au règlement.

La construction des inégalités

Seconde réflexion : ces questionnaires sont-ils de nature à mettre certains élèves mal à l’aise ou à en stigmatiser certains ? Le débat ne date pas d’hier. Dès la fin des années nonante, Pierre Merle, sociologue et professeur d’université français, grand spécialiste des questions scolaires, montre que les informations récoltées sur ces fiches peuvent inciter certains enseignants à se décharger de la responsabilité de la réussite des élèves. Il fait le lien entre fiche de renseignements et construction sociale des inégalités scolaires.

Tout récemment, Audrey Murillo, maître de conférences française en sciences de l’éducation, a publié une recherche qui confirme ces intuitions. Après avoir enquêté auprès de 758 lycéens dans vingt lycées différents, elle révèle que les enseignants utilisent ces fiches pour réaliser des pronostics sur le travail à venir de leurs élèves. Huit lycéens sur dix sont gênés par cette pratique, dit-elle. Près des trois-quarts déploient d’ailleurs des stratégies pour ne pas dire toute la vérité, ce qui rend la démarche bien inutile. Audrey Murillo conclut à une double inégalité. Les élèves les plus favorisés connaissent les codes de l’école et parviennent à se mettre encore mieux en valeur. Tandis que les moins favorisés, eux, restent focalisés sur la nécessité de compenser certaines difficultés familiales.

Une circulaire pour rappeler à l’ordre

Bien sûr, de nombreux enseignants tiennent compte à la fois des dernières recherches et de l’évolution de la société. Un bref échange oral ou des questions d’un autre registre (par exemple sur le temps de trajet d’un élève) remplacent, ici et là, les questions d’autrefois.

Mais, compte tenu à la fois des nouvelles règles concernant la protection des données et du trouble de plus en plus clairement exprimé par les étudiants, il ne sera plus question à l’avenir de laisser cette liberté aux profs. Seule restera autorisée une collecte centralisée menée par l’établissement scolaire en conformité avec le règlement général sur la protection des données. “Ma première mesure sera l’envoi d’une circulaire rappelant les normes à respecter”, annonce la ministre Caroline Désir, qui compte examiner, à moyen terme, la faisabilité d’un contrôle dans les écoles par les services de l’administration.

Article de Monique Baus, La Libre Belgique,  Lun. 21 oct. 2019 https://www.lalibre.be/belgique/societe/la-fiche-de-renseignements-a-remplir-en-classe-c-est-fini-5dac9c9d9978e218e35d7a43

Notre commentaire

Sans nous attarder sur la question des inégalités sociales que ce type de collecte de données engendrerait (cela sort de notre domaine de compétences), il est intéressant de noter que cet article nous rappelle qu’au sein de chaque structure, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une administration, ou encore d’une école, le respect des principes relatifs à la protection des données et à la vie privée est l’affaire de tous.

Il serait erroné de croire que le RGPD n’est qu’une réglementation que seule la direction ou certains départements stratégiques d’une structure doivent respecter. En effet, il s’agit d’une loi que chaque travailleur doit appliquer dans l’exercice de ses fonctions.

Par conséquent, nous ne pouvons que partager la conclusion de l’administration de l’enseignement obligatoire qui impose que cette collecte n’ait lieu qu’une seule fois, de façon centralisée, et sur instruction de la direction de l’école qui procède à la collecte. Nous nous réjouissons également de la future diffusion d’une circulaire.

Nous pensons que cette circulaire sera fort utile pour conscientiser tous les acteurs de l’enseignement en matière de RGPD, et qu’enfin le droit au respect de la vie privée fasse partie de l’éducation de chacun.

Edouard Aerts-Bancken

Posted in Enseignement